Appel à communication « Repenser l’Europe depuis les Caraïbes : héritages et enchevêtrements » du 12 au 15 avril 2018 Université Albert Ludwig, Fribourg-en-Brisgau, Allemagne

Appel à communication

« Repenser l’Europe depuis les Caraïbes : héritages et enchevêtrements »

du 12 au 15 avril 2018

Université Albert Ludwig, Fribourg-en-Brisgau, Allemagne

Les multiples liens qui unissent les Caraïbes et l’Europe sont au cœur de la conférence organisée à l’occasion des 30 ans d’existence de la Société d’Études Caribéennes (Society for Caribbean Research, Socare). Les Caraïbes furent la première région colonisée par les puissances européennes au XVIe siècle et la dernière région à être (partiellement) décolonisée au XXe siècle. Elles ont accueilli plus d’un tiers de tous les Africains déportés dans le cadre de la traite atlantique entre le XVIe et le XIXe siècle, mais aussi un nombre considérable de travailleurs contractuels européens sous différents régimes pendant grosso modo la même période, suivis d’une main-d’œuvre contractuelle asiatique. La région fut dévastée par le génocide des populations locales perpétré par les colons européens, et de l’une des plus violentes exploitations économiques parmi les colonies européennes. Après la Seconde Guerre Mondiale, les pays européens ont compensé leur pénurie de main-d’œuvre en recrutant en grand nombre des travailleurs issus de leurs colonies caribéennes. Cela a entraîné des changements dans la politique d’accès à la citoyenneté que les puissances coloniales européennes appliquèrent à ces migrants.

Aujourd’hui, plus d’un tiers des dernières possessions coloniales européennes se situent dans les Caraïbes, et la Commission des Réparations de la CARICOM, créée en 2013, déclare que « le règne colonial européen continue de faire partie intégrante de la vie caribéenne »[1] Néanmoins, l’historiographie, la géographie ainsi que les théories sociales, littéraires et culturelles ont tendance à percevoir l’Europe et les Caraïbes comme des régions séparées, voire antithétiques. En raison de leur focalisation sur les sociétés industrielles modernes, les sciences sociales voyaient dans les Caraïbes, marquées par leur passé esclavagiste, le paradigme du retard socioéconomique, de l’inefficacité et du sous-développement. Dans cette optique elles se trouvaient à l’opposé du monde du travail salarié libre, moderne et efficace dont l’Europe se veut pionnière. De l’autre côté, formées par la confluence de populations africaines, européennes et asiatiques, les Caraïbes représentaient la diversité raciale et ethnique par excellence, comme l’attestent les penseurs caribéens de la transculturalité, de l’hybridité et de la créolisation. Vice-versa, l’Europe – après des siècles d’émigration massive, la construction des nations, les expulsions et les vagues de nettoyage ethnique – affiche une homogénéisation ethnique accrue. L’inversion du schéma migratoire depuis le milieu du XXe siècle en direction de l’Europe, parmi d’autres régions, a déclenché des débats intenses sur la notion de race partout dans le continent, au point que l’immigration est perçue de plus en plus comme une menace pour les sociétés européennes. Dans les études littéraires, on tend toujours à opposer le statut canonique des littératures européennes ‘nationales’ à la production ‘postcoloniale’ caribéenne. De même, la notion de postcolonialité est surtout appliquée aux anciennes colonies, tandis que celle de l’Europe vient tout juste d’être abordée.

Dans le sillage des crises humanitaires causées par les ouragans et les séismes les plus récents dans le bassin caribéen, les efforts d’aide aux victimes de catastrophes, insuffisants et incohérents, ont une fois de plus soulevé des questions sur les relations politiques et économiques entre les puissances occidentales et les Caraïbes. Face aux catastrophes sanitaires et aux vagues d’émigration, les économies insulaires sont confrontées à des régimes de citoyenneté divergents, à des responsabilités politiques fragmentées et à des arrangements économiques proches de l’exploitation qui mettent en évidence le statut géopolitique ambivalent de nombreux territoires caribéens vis-à-vis des intérêts de l’Europe et des États-Unis.

Dans ce contexte, la conférence se concentre sur les héritages et les continuités du colonialisme européen dans la région et sur les enchevêtrements transrégionaux entre les Caraïbes et l’Europe. L’analyse des langues, des histoires (post)coloniales, des trajectoires socioéconomiques et des pratiques esthétiques des Caraïbes qui tienne compte de leurs relations avec l’Europe permettra également de repenser l’Europe depuis les Caraïbes. La conférence vise à réduire l’hypervisibilité de l’Europe occidentale en ciblant davantage les enchevêtrements caribéens avec l’Europe du Sud et de l’Est, ainsi que les ‘Europes oubliées’ que sont les territoires et régions d’outre-mer caribéens. Comment les perspectives caribéennes peuvent-elles contribuer à une compréhension différente et plus nuancée de l’Europe ou des Europes aujourd’hui?

Nous encourageons des contributions issues d’un large éventail disciplinaire, y compris (mais non exclusivement) les études littéraires et culturelles, la sociologie, l’anthropologie, la linguistique, la philosophie, l’histoire, la géographie, et les sciences politiques. Des perspectives inter- et transdisciplinaires sont particulièrement bienvenues, tout comme les présentations par affiche de projets de thèse. Les contributions peuvent être envoyées en anglais, en français ou en espagnol et nous apprécions particulièrement la mise à disposition de polycopiés ou la présentation de powerpoint dans une langue différente de celle de la présentation orale. Les sujets possibles sont :

  • Les Caraïbes comme laboratoire de la modernité européenne
  • Le régime politique de la race et la racialisation des Caraïbes dans l’Europe
  • Flux migratoires reliant l’Europe aux Caraïbes
  • Colonialité, décolonisation partielle et territoires européens caribéens aujourd’hui
  • Capitalisme et travail non salarié dans l’Europe et les Antilles: esclavage, servage secondaire, engagement contractuel, apprentissage
  • Intérêts européens économiques dans les Caraïbes d’aujourd’hui : par ex. tourisme de villégiature, paradis fiscaux, propriétés foncières et zones de libre-échange
  • Citoyennetés européennes et du Commonwealth dans les Caraïbes et citoyennetés caribéennes dans l’Europe
  • Changement climatique, crises humanitaires et prévention des catastrophes dans le contexte de l’ambivalence géopolitique et des souverainetés fragmentées dans les Caraïbes
  • Les Caraïbes dans les politiques européennes de la mémoire : par ex. génocide indigène, esclavage, demandes de réparations des pays européens par la CARICOM
  • Repensant l’Europe (les Europes) à la lumière des notions caribéennes de transculturation, hybridité, et créolisation
  • Enchevêtrements esthétiques entre les Caraïbes et l’Europe du Sud et de l’Est dans la littérature, le cinéma ou les arts visuels
  • Pratiques linguistiques, interrelations linguistiques, politiques linguistiques

Les propositions de communication ou d’affiche (veuillez préciser votre choix) devront inclure le nom et l’affiliation de l’auteur, le titre de la présentation, un résumé d’environ 300 mots et une brève note biographique.

Les propositions sont à soumettre aux deux organisatrices avant le 15 novembre 2017:

Manuela Boatcă: manuela.boatca@soziologie.uni-freiburg.de

Annika McPherson: annika.mcpherson@philhist.uni-augsburg.de

[1] http://caricomreparations.org/caricom/caricoms-10-point-reparation-plan/